La crise écologique et environnementale a plusieurs facettes, dont l’une des plus connues est celle du réchauffement climatique. Les activités humaines rejettent dans l’atmosphère des gaz à effets de serre, constitués majoritairement de dioxyde de carbone (CO2). En s’accumulant, ces gaz piègent à la surface de la Terre l’énergie solaire, et contribuent donc à augmenter la température moyenne mondiale de surface. Cette température constitue l’indicateur le plus connu du changement climatique. Lorsque l’on parle de réchauffement à 1,5°C, 3°C, 4°C, on parle d’une augmentation de la température moyenne de surface de 1,5°C, etc… Cette représentation peut transmettre l’idée fausse que le changement climatique consiste simplement en une élévation de quelques degrés de la température moyenne.

Or, s’il est plus correct de parler de « changement » plutôt que de « réchauffement » climatique, c’est parce que les effets du « forçage anthropique », c’est-à-dire l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaines, sont bien plus complexes qu’une simple augmentation de la température. Le climat est un système complexe, qui ne répond ni uniformément, ni linéairement à ce forçage anthropique. En d’autres termes, les effets du changement climatique se font sentir différemment dans divers endroits et composantes de la planète, et leur évolution ne se fait pas par une progression constante et régulière.

L’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes

Un des effets les plus visibles et les plus directs du changement climatique pour l’humanité est l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes en termes de température ou de précipitations : vagues de froid et de chaleur ou sécheresses et violentes tempêtes. La probabilité de battre un record de chaleur – jour et mois les plus chauds mesurés à certaine période de l’année – a augmenté sur 80% de la planète. La probabilité de battre le record de l’année la plus sèche a augmenté de 57% sur la planète, et la probabilité d’avoir des records de précipitation sur une période de 5 jours a augmenté de 41% (Diffenbaugh et al., 2017).

 

La probabilité de battre des records de froid augmente en ce début de XXIème siècle. Elle devrait diminuer au fur et à mesure des années (Wang et al., 2017). A l’inverse, la fréquence des vagues de chaleur va augmenter un peu partout dans le monde, ce qui aura des effets dangereux sur la santé des personnes. En effet, les vagues de chaleur comptent parmi les phénomènes climatiques extrêmes les plus meurtriers, et leurs effets peuvent se cumuler si elles s’enchaînent : par exemple, quelques jours de fraîcheur peuvent ne pas suffire à diminuer la température dans les habitations, et une longue période de chaleur peut dégrader les infrastructures électriques (Baldwin et al., 2019).

 
 
 
 
Des fleurs de cerisiers en éclosion

La température moyenne de surface augmente plus vite aux pôles que sur le reste de la planète, en particulier au pôle nord. Ce phénomène est connu sous le nom d’amplification arctique. Ses causes, ainsi que ses effets à terme sur le climat plus au sud (aux latitudes moyennes et aux tropiques) sont encore mal comprises. En revanche, cette augmentation plus nette des températures aux pôles accélère la fonte des glaces (Vavrus, 2018). Il est probable que l’amplification arctique ait pour effet de provoquer les records de froid constatés ces dernières années au Royaume Uni (Hanna et al., 2017). Les causes probables de phénomène contre-intuitif sont décrites ici. A l’inverse, ce même phénomène entraîne probablement une intensification des sécheresses et de la chaleur dans le centre des États-Unis (Vavrus et al., 2017).

 

Les zones arides couvrent actuellement 47% de la surface des terres émergées et abritent 39% de la population humaine. Ces zones devraient s’étendre sous l’effet du réchauffement des températures, principalement dans les pays en voie de développement. A +4°C de réchauffement de la température moyenne pour la fin du siècle, il est projeté que 11% des terres émergées se transforment en zones arides. En revanche, 4,24% devraient devenir plus humides, principalement en Asie du Sud-Est, en raison d’une intensification des précipitations. En conséquence, on estime jusqu’à 5,2 milliards le nombres de personnes dont l’habitat deviendra plus aride à +4°C de réchauffement moyen pour la fin du siècle. Si on maintient le réchauffement à 1,5°C, c’est presque 2 milliards de personnes à qui on épargne ce sort (Koutroulis, 2019).


Les phénomènes climatiques extrêmes menacent la sécurité alimentaire en provoquant des baisses de rendements agricoles. Au niveau mondial, les sécheresses et vagues de chaleur ont diminué de 10% la production de céréales sur la période 1964-2007. Les sécheresses les plus récentes ont impacté plus fortement rendements de céréales (Lesk et al., 2016). Là aussi, les demi-degrés comptent : rester à 1,5° de réchauffement moyen permettra de limiter la vulnérabilité alimentaire des trois quarts des pays en développement. A 2°C de réchauffement, Oman, le Bangladesh, la Mauritanie et le Yemen connaitront une très forte insécurité alimentaire (Betts et al., 2018).

Les « points de non-retour »

Le terme de « point de non-retour » décrit un effet de seuil : une fois une certaine valeur d’un paramètre, comme par exemple la température, dépassée, des mécanismes irréversibles se mettent en place, entrainant des changements du système qu’il est impossible d’arrêter (van der Hel et al., 2018). Par exemple, si la température moyenne de surface aux pôles dépasse une certaine valeur, la glace qui s’y trouve fondra irréversiblement. Cette fonte s’étendra sur plusieurs siècles, mais il sera impossible de renverser cette dynamique à cause de certains mécanismes internes au climat (Lenton et al., 2019). Par exemple, fondre de la glace est plus « rapide » que d’en créer, et la glace de mer, en réfléchissant l’énergie solaire, limite l’absorption de la chaleur solaire par l’océan. Le terme de « point de non-retour » a ensuite connu sa propre évolution auprès du grand public. En effet, les médias s’en sont saisis car il permet de décrire efficacement la non-linéarité du changement climatique.

 

Une trentaine de points de non-retour sont identifiés. Par exemple, les coraux qui soutiennent de nombreux écosystèmes meurent en masse lorsque l’océan dépasse une certaine température (Hughes et al., 2018). La probabilité que ces points de non-retour soient atteints était d’abord estimée faible, mais les recherches les plus récentes suggèrent que certains d’entre eux, comme une fonte totale des glaces des pôles ou un effondrement de la biodiversité terrestre, doivent être considérés aujourd’hui comme un risque sérieux (Lenton et al., 2019). L’une des hypothèses les plus sévères est un effet domino où les différents points de non-retour surviennent les uns après les autres.

 
 
 
 
Des glaciers en train de fondre

Changements locaux

Un des points de non-retour implique un fort ralentissement voire une disparition de la mousson en Afrique de l’Ouest, où vivent 320 millions de personnes (Diasso & Abiodun, 2018). Les périodes de sécheresse sévère y seront plus fréquentes, ce qui va affecter les écosystèmes, la disponibilité de l’eau potable, la sécurité alimentaire et à terme la sécurité de la région. La reforestation de la savane est envisagée comme une politique de limitation des risques liés aux effets du changement climatique. Elle peut favoriser le maintien des conditions actuelles de la mousson, mais ses effets sont contrastés : si la reforestation diminue les chances de sécheresse sur la savane et la côte de Guinée, elle les augmente sur le Sahel (Diasso & Abiodun, 2018).

 

Si le réchauffement moyen se situe entre 2°C et 4°C, l’augmentation des températures moyennes en journée en Asie du Sud-Est sera de 4,3°C. Le nombre de jours de sécheresse pourrait augmenter de 50%. Le nombre de tempêtes et cyclones va aussi augmenter. De ce fait, la quantité de précipitations va augmenter. En conséquence, les trois quarts de la région verront une augmentation de la fréquence des inondations. Cela va fortement impacter les rendements agricoles sur place, et donc menacer la sécurité alimentaire. Ceci est d’autant plus préoccupant au regard de l’augmentation prévue de du niveau de la mer qui rendra la région plus vulnérable (Raghavan et al., 2019).

 

L’Amérique du Sud va subir assez violemment les conséquences du changement climatique. A 2°C de réchauffement, le fleuve Amazone va perdre un quart de son débit (Betts et al., 2018). La disparition des glaciers andins va poser de gros problèmes d’accès à l’eau potable pour les populations (Altamirano, 2020).

En Europe, à 1,5°C de réchauffement moyen pour 2100, les températures moyennes vont augmenter, et les vagues de chaleur se multiplier. La Scandinavie devrait se réchauffer plus rapidement et les côtes de Norvège vont connaitre des épisodes de précipitation intense. Les vagues de chaleur vont probablement s’intensifier sur le Royaume-Uni et l’Irlande. En Europe continentale, les forêts devraient diminuer en productivité, ce qui les rendrait plus vulnérables. Les hivers seront probablement beaucoup plus doux en Europe de l’Est. Sur le pourtour méditerranéen, les vagues de chaleur que l’on ne voit qu’une fois tous les vingt ans deviendraient la norme. Enfin, dans les Alpes, on trouvera probablement plus de précipitations extrêmes et de vagues de chaleur, ainsi qu’une diminution de la couverture neigeuse (Jacob et al., 2018).


 

Aux États-Unis, le réchauffement climatique de ces dernières années a eu pour effet de rendre les hivers plus doux. Les étés, en revanche, ne sont pas particulièrement plus chauds. 80% des états-uniens ont ainsi actuellement un climat considéré localement comme plus agréable que dans les années 1970 (Egan & Mullin, 2016). Cette tendance devrait néanmoins s’inverser dans les prochaines décennies, d’après les projections climatiques. Cependant, cette tendance récente est problématique, car la perception du changement climatique par l’opinion publique, qui permet l’adoption de mesure de mitigation et d’adaptation, passe par la perception de changements dans la météo locale. Les États-Unis comptant parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, leur rôle dans l’adoption de ces mesures à un niveau international est central.

 
 
 
 
Un groupe cultivant un potager à côté d'une grande ville

L’importance de la perception du changement climatique

Le climat et la météo sont deux choses très différentes. On ne peut mettre en question le changement climatique à cause de quelques jours de gelées début mai en France. Toutefois, la météo est un intermédiaire qui permet à tout un chacun de ressentir localement le climat. Les phénomènes climatiques extrêmes donnent corps, localement et pour tous, au changement climatique. Leur occurrence fait progresser la conscience du problème dans l’opinion publique, même si l’interprétation de ces phénomènes comme relevant du changement climatique dépend partiellement d’une croyance préalable dans le changement climatique (Shao, 2016). L’attention médiatique générée par les événements climatiques extrêmes peuvent permettre aux experts de mettre en avant les liens avec le changement climatique, et ainsi permettre à la population de se représenter les liens complexes existant entre changement climatique global et évolution du climat local (Marlon et al., 2019).

Rédigé par Andy Battentier, relu par Florian Sévellec, Chargé de recherche CNRS au Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale

 
 
 
 
Manifestation

Aller plus loin


Références

Altamirano, T. (2020). Climate Change, Vulnerability, Social Conflicts and Human Displacement in the Andes : The case of Huaytapallana Glacier. Ambiente, Comportamiento y Sociedad, 1(1).

Baldwin, J. W., Dessy, J. B., Vecchi, G. A., & Oppenheimer, M. (2019). Temporally Compound Heat Wave Events and Global Warming : An Emerging Hazard. Earth’s Future, 7(4), 411‑427. https://doi.org/10.1029/2018EF000989

Betts, R. A., Alfieri, L., Bradshaw, C., Caesar, J., Feyen, L., Friedlingstein, P., Gohar, L., Koutroulis, A., Lewis, K., Morfopoulos, C., Papadimitriou, L., Richardson, K. J., Tsanis, I., & Wyser, K. (2018). Changes in climate extremes, fresh water availability and vulnerability to food insecurity projected at 1.5°C and 2°C global warming with a higher-resolution global climate model. Philosophical Transactions of the Royal Society A: Mathematical, Physical and Engineering Sciences, 376(2119), 20160452. https://doi.org/10.1098/rsta.2016.0452

Diasso, U., & Abiodun, B. J. (2018). Future impacts of global warming and reforestation on drought patterns over West Africa. Theoretical and Applied Climatology, 133(3‑4), 647‑662. https://doi.org/10.1007/s00704-017-2209-3

Diffenbaugh, N. S., Singh, D., Mankin, J. S., Horton, D. E., Swain, D. L., Touma, D., Charland, A., Liu, Y., Haugen, M., Tsiang, M., & Rajaratnam, B. (2017). Quantifying the influence of global warming on unprecedented extreme climate events. Proceedings of the National Academy of Sciences, 114(19), 4881‑4886. https://doi.org/10.1073/pnas.1618082114

Egan, P. J., & Mullin, M. (2016). Recent improvement and projected worsening of weather in the United States. Nature, 532(7599), 357‑360. https://doi.org/10.1038/nature17441

Hanna, E., Hall, R. J., & Overland, J. E. (2017). Can Arctic warming influence UK extreme weather? Weather, 72(11), 346‑352. https://doi.org/10.1002/wea.2981

Hughes, T. P., Kerry, J. T., Baird, A. H., Connolly, S. R., Dietzel, A., Eakin, C. M., Heron, S. F., Hoey, A. S., Hoogenboom, M. O., Liu, G., McWilliam, M. J., Pears, R. J., Pratchett, M. S., Skirving, W. J., Stella, J. S., & Torda, G. (2018). Global warming transforms coral reef assemblages. Nature, 556(7702), 492‑496. https://doi.org/10.1038/s41586-018-0041-2

Jacob, D., Kotova, L., Teichmann, C., Sobolowski, S. P., Vautard, R., Donnelly, C., Koutroulis, A. G., Grillakis, M. G., Tsanis, I. K., Damm, A., Sakalli, A., & van Vliet, M. T. H. (2018). Climate Impacts in Europe Under +1.5°C Global Warming. Earth’s Future, 6(2), 264‑285. https://doi.org/10.1002/2017EF000710

Koutroulis, A. G. (2019). Dryland changes under different levels of global warming. Science of The Total Environment, 655, 482‑511. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2018.11.215

Lenton, T. M., Rockström, J., Gaffney, O., Rahmstorf, S., Richardson, K., Steffen, W., & Schellnhuber, H. J. (2019). Climate tipping points—Too risky to bet against. Nature, 575(7784), 592‑595. https://doi.org/10.1038/d41586-019-03595-0

Lesk, C., Rowhani, P., & Ramankutty, N. (2016). Influence of extreme weather disasters on global crop production. Nature, 529(7584), 84‑87. https://doi.org/10.1038/nature16467

Marlon, J. R., van der Linden, S., Howe, P. D., Leiserowitz, A., Woo, S. H. L., & Broad, K. (2019). Detecting local environmental change : The role of experience in shaping risk judgments about global warming. Journal of Risk Research, 22(7), 936‑950. https://doi.org/10.1080/13669877.2018.1430051

Paterson, P. (2017). Global Warming and Climate Change in South America. SSRN Electronic Journal. https://doi.org/10.2139/ssrn.3255270

Raghavan, S. V., Ze, J., Hur, J., Jiandong, L., Nguyen, N. S., & Shie-Yui, L. (2019). ASEAN Food Security under the 2°C-4°C Global Warming Climate Change Scenarios. In V. Anbumozhi, M. Breiling, & V. Reddy, Towards a Resilient ASEAN Volume 1 : Disasters, Climate Change, and Food Security : Supporting ASEAN Resilience (p. 37‑52). Economic Research Institute for ASEAN and East Asia.

Shao, W. (2016). Are actual weather and perceived weather the same? Understanding perceptions of local weather and their effects on risk perceptions of global warming. Journal of Risk Research, 19(6), 722‑742. https://doi.org/10.1080/13669877.2014.1003956

van der Hel, S., Hellsten, I., & Steen, G. (2018). Tipping Points and Climate Change : Metaphor Between Science and the Media. Environmental Communication, 12(5), 605‑620. https://doi.org/10.1080/17524032.2017.1410198

Vavrus, S. J. (2018). The Influence of Arctic Amplification on Mid-latitude Weather and Climate. Current Climate Change Reports, 4(3), 238‑249. https://doi.org/10.1007/s40641-018-0105-2

Vavrus, S. J., Wang, F., Martin, J. E., Francis, J. A., Peings, Y., & Cattiaux, J. (2017). Changes in North American Atmospheric Circulation and Extreme Weather : Influence of Arctic Amplification and Northern Hemisphere Snow Cover. Journal of Climate, 30(11), 4317‑4333. https://doi.org/10.1175/JCLI-D-16-0762.1

Wang, X., Jiang, D., & Lang, X. (2017). Future extreme climate changes linked to global warming intensity. Science Bulletin, 62(24), 1673‑1680. https://doi.org/10.1016/j.scib.2017.11.004