La sécurité alimentaire

 

Article en attente de relecture d’un spécialiste

En 1996, l’ONU a défini la sécurité alimentaire. Celle-ci existe lorsque « tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Assurer la sécurité alimentaire pour toute la planète en 2030 est un des objectifs affichés par l’ONU, alors qu’aujourd’hui une personne sur neuf est sous-alimentée.

Le changement climatique va exercer une pression croissante sur les ressources agricoles permettant de nourrir l’humanité. A l’inverse, la demande en nourriture augmentera au cours des prochaines décennies, car l’humanité comptera de plus en plus d’individus : les projections prévoient 9 milliards d’humains en 2050. Une évolution profonde de la production de nourriture sera donc nécessaire pour répondre aux besoins alimentaires mondiaux.

L’agriculture aujourd’hui

De 1,5 milliards d’humains en 1900, l’humanité comptait 6 milliards d’individus à la fin du 20ème siècle. Cette augmentation a impliqué une forte hausse de la demande en nourriture. La mécanisation du travail agricole, la sélection de variétés très productives, et l’usage d’engrais et de pesticides ont fortement augmenté les rendements agricoles, et ont permis de répondre globalement à cette demande. Globalement, mais pas totalement : 2 milliards de personnes sont en déficit d’un ou plusieurs nutriments, et 790 millions de personnes n’ont pas les calories quotidiennes dont elles ont besoin (Myers et al., 2017).

Le mode de production alimentaire du 20ème siècle touche néanmoins aujourd’hui à ses limites : sans tenir compte des effets du changement climatique, 31% de la population mondiale sera exposée à un risque de sous-nutrition en 2050 si le système de production et de distribution de nourriture reste ce qu’il est aujourd’hui (Dawson et al., 2016). La quantité de nourriture produite peut difficilement être augmentée par une expansion des terres agricoles : plus de 40% des terres émergées sans glace sont déjà consacrées à cet usage, et l’irrigation représente deux tiers des ponctions humaines annuelles sur le cycle de l’eau (Myers et al., 2017).

 

Un des aspects les plus problématiques de l’agriculture contemporaine est l’usage d’engrais et de pesticides chimiques. A la fin du 19ème siècle, des produits naturels, comme le guano, étaient appliquées pour améliorer la fertilité des sols. Les engrais chimiques sont apparus au début du 20ème siècle, et leur production a depuis augmenté en moyenne de 11% par an au niveau mondial. 200 000 tonnes de pesticides chimiques, dont le but est de supprimer certaines herbes, insectes ou champignons diminuant les rendements agricoles, étaient produites en 1950. En 2000, ce chiffre s’élève à 5 millions de tonnes (Carvalho, 2017).

 
 
 
 
Fermier au milieu de son champ

Si l’usage de produits de synthèse a permis de produire des quantités répondant à un besoin croissant de façon exponentielle (Bonner & Alavanja, 2017), l’exposition des êtres humains à ces produits, ainsi que leur diffusion dans l’environnement posent de nombreux problèmes. Sur 1,8 milliards de travailleurs agricoles dans le monde, 25 millions subissent chaque année un empoisonnement accidentel, et 355 000 personnes décèdent des conséquences de ces accidents. Ces produits se retrouvent ensuite dans la nourriture et créent une exposition chronique impliquée dans le développement de cancers, l’obésité, et les perturbations endocriniennes (Carvalho, 2017). L’évolution constante des produits rend toutefois difficile l’établissement de liens de causalité clairs entre l’exposition chronique aux produits et engrais de synthèse. En effet, les effets de cette exposition se mesurent au bout de plusieurs années, voire plus d’une dizaine d’années. Or, durant ce laps de temps, les produits que des études peuvent éventuellement incriminer ne sont plus utilisés. Il en résulte une exposition multiple, rendant le rôle d’une seule substance dans l’apparition d’une maladie plus difficile à distinguer (Bonner & Alavanja, 2017).

 

Les pesticides peuvent être épandus par diverses techniques, qui impliquent une dispersion plus ou moins importante dans l’environnement. Cette dispersion a un impact sur des espèces qui ne sont pas visées par l’épandage. Elle entraîne des morts, parfois dans des proportions importantes, parmi les amphibiens, les oiseaux, les abeilles ou les poissons vivant à proximité des lieux de culture (Carvalho, 2017). Après application, des résidus restent dans les sols : en Europe, leur présence constitue la règle plutôt que l’exception (Silva et al., 2019). Les effets de cette présence sont mal connus mais les scientifiques invitent à la prudence. Par ailleurs, il est établi que le transport par les eaux des engrais de synthèse jusqu’aux côtes joue un rôle dans le développement d’algues toxiques, et porte des dommages à la faune, notamment aux récifs coralliens (Carvalho, 2017).


Le rôle central des pesticides dans l’agriculture du 20ème siècle implique l’impossibilité de s’en passer à court terme. Il est toutefois possible, tout en cherchant à s’en passer, d’en raisonner l’usage en améliorant la précision de leur application, en récupérant et en traitant les eaux contaminées, en informant les agriculteurs et le public sur leurs danger, et réalisant des tests plus stricts avant leur mise sur le marché (Bonner & Alavanja, 2017; Carvalho, 2017).

Changement climatique et tensions sur la sécurité alimentaire

L’augmentation prévue de la population va accroître la demande en nourriture, alors que les effets du changement climatique vont impacter les capacités de production. Des températures au-delà de 30°C , ainsi que le stress hydrique qu’implique le manque d’eau pour une plante sont généralement associés à une diminution des quantités récoltées. Par ailleurs, la chaleur rend le travail agricole plus difficile, et impossible dans certains cas. Enfin, la qualité nutritionnelle des plantes récoltées et du bétail est également impactée par des conditions climatiques extrêmes (Myers et al., 2017). Ainsi, la multiplication des sécheresses et vagues de chaleur que va impliquer le changement climatique impactera la production agricole.

La concentration en ozone, que la chaleur tend à faire augmenter, est également néfaste pour les récoltes. Sur la période 1981-2010, l’augmentation de la concentration en ozone en Chine a provoqué des pertes estimées à 10% des volumes de production (Tian et al., 2016). Par ailleurs, le changement climatique va provoquer un changement dans la diffusion des maladies affectant les cultures. Or, si l’on estime à 50 000 le nombre d’espèces consommables par l’être humain, environ 300 sont commercialisées, et 20 espèces de plantes fournissent 90% des calories mondiales (Campbell et al., 2016). Enfin, sur ces 20 plantes, trois fournissent encore la majorité des récoltes : le riz, le blé et le maïs. Le risque de pénurie est donc important si une maladie se développe sur l’une des espèces les plus cultivées.

Du côté des océans, les effets combinés du réchauffement et de la surpêche ont provoqué un déclin de 4% des récoltes entre 1930 et 2010, certaines zones subissant des pertes allant jusqu’à 35%. L’évolution de la température a des effets variables selon les espèces, certaines se multipliant et d’autres déclinant. Une attention particulière devra être portée sur les effets du changement climatique sur les fruits de mer, qui fournissent 20% des protéines animales dans le régime alimentaire de 3,2 milliards de personnes (Plagányi, 2019).

 

En général, les effets du changement climatique augmentent de 21% le nombre de personnes à risque de sous-nutrition en 2050. C’est donc plus de la moitié de la population qui pourrait se trouver dans cette situation à ce moment-là (Dawson et al., 2016). Il faut enfin ajouter à ce tableau l’effet des politiques de mitigation du changement climatique. La production agricole est responsable au niveau mondial d’environ un quart des émissions de gaz à effet de serre (Whitfield et al., 2018). Toutefois, les politiques de mitigation impactent à la hausse le prix des aliments. Par conséquent, le nombre des personnes exposées à un risque de famine est plus important dans des scénarios à +1,5°C de réchauffement moyen que dans les scénarios à +3°C (Hasegawa et al., 2018). Il est possible de contrer ces effets néfastes des politiques de mitigation en subventionnant les producteurs pour qu’ils maintiennent leurs prix, ou en fournissant de l’aide alimentaire. Le coût de ces compensations est estimé entre 0,5 et 2% du PIB mondial en 2050 (Fujimori et al., 2019).

 
 
 
 
Une femme récoltant des légumes au début du printemps

Nourrir l’humanité et mitiger le changement climatique

La diversification des cultures au niveau mondial sera nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire (Campbell et al., 2016). La culture d’espèces donnant de bonnes récoltes dans des conditions de chaleur et de sécheresse, comme le pois bambara, peuvent contribuer à une adaptation humaine efficace au changement climatique (Massawe et al., 2016). La sélection des espèces cultivées devra se faire en fonction de leurs résistances aux nouvelles conditions climatiques (Dhankher & Foyer, 2018). Les légumineuses peuvent également devenir une composante intéressante des régimes alimentaires futurs, au vu de leur concentration importante en protéines végétales (Considine et al., 2017).

 

 

Outre la sécurité alimentaire, l’agriculture du 21ème siècle aura aussi pour responsabilité de mitiger le changement climatique, en adoptant des méthodes qui diminuent ses émissions, et où les cultures peuvent, via la photosynthèse, absorber et stocker le carbone de l’atmosphère (Branca et al., 2016). Par exemple, en Amérique du Sud, la plupart des émissions de gaz à effet de serre sont le résultat de la diminution de la capacité d’absorption du carbone par la transformation de la forêt amazonienne en terrain agricoles. Restaurer la forêt sur les terrains convertis, et développer sur place des techniques de culture comme l’agroforesterie (qui consiste à cultiver des plantes sur un terrain où sont implantés des arbres), peut diminuer d’un quart les émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre en 2050, tout en améliorant la quantité et qualité des récoltes (Sá et al., 2017).


Il existe de très nombreux leviers à actionner pour tendre vers la sécurité alimentaire tout en mitigeant le changement climatique. Le changement de régime alimentaire et la réduction du gaspillage sont les principaux leviers au niveau de la demande de nourriture, permettant de tendre à la fois vers des pratiques de culture plus vertueuses et vers une plus grande sécurité alimentaire. L’évolution des techniques de culture peut augmenter la sécurité alimentaire. Lorsque cette évolution est faite en symbiose avec la gestion de la forêt, les effets de mitigation du changement climatique peuvent également être importants (Smith et al., 2019). Pour que la transition des modèles agricoles se réalise de façon efficace en termes à la fois de sécurité alimentaire, d’adaptation et de mitigation du changement climatique, et de préservation des sols, il est nécessaire d’adopter une approche adaptée aux besoins locaux, en impliquant les populations concernées (Nowak et al., 2019).

 

Rédigé par Andy Battentier

 
 
 
 
Des épis de blé dans un champ

Aller plus loin


Références

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Campbell, B. M., Vermeulen, S. J., Aggarwal, P. K., Corner-Dolloff, C., Girvetz, E., Loboguerrero, A. M., Ramirez-Villegas, J., Rosenstock, T., Sebastian, L., Thornton, P. K., & Wollenberg, E. (2016). Reducing risks to food security from climate change. Global Food Security, 11, 34‑43. https://doi.org/10.1016/j.gfs.2016.06.002

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Considine, M. J., Siddique, K. H. M., & Foyer, C. H. (2017). Nature’s pulse power : Legumes, food security and climate change. Journal of Experimental Botany, 68(8), 1815‑1818. https://doi.org/10.1093/jxb/erx099

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Hasegawa, T., Fujimori, S., Havlík, P., Valin, H., Bodirsky, B. L., Doelman, J. C., Fellmann, T., Kyle, P., Koopman, J. F. L., Lotze-Campen, H., Mason-D’Croz, D., Ochi, Y., Pérez Domínguez, I., Stehfest, E., Sulser, T. B., Tabeau, A., Takahashi, K., Takakura, J., van Meijl, H., … Witzke, P. (2018). Risk of increased food insecurity under stringent global climate change mitigation policy. Nature Climate Change, 8(8), 699‑703. https://doi.org/10.1038/s41558-018-0230-x

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Smith, P., Calvin, K., Nkem, J., Campbell, D., Cherubini, F., Grassi, G., Korotkov, V., Le Hoang, A., Lwasa, S., McElwee, P., Nkonya, E., Saigusa, N., Soussana, J., Taboada, M. A., Manning, F. C., Nampanzira, D., Arias‐Navarro, C., Vizzarri, M., House, J., … Arneth, A. (2019). Which practices co‐deliver food security, climate change mitigation and adaptation, and combat land degradation and desertification? Global Change Biology. https://doi.org/10.1111/gcb.14878

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