Article en attente de relecture d’un spécialiste
La période actuelle de crise climatique et environnementale coïncide avec une période de très forte concentration des richesses. 750 millions de personnes vivent dans l’extrême pauvreté, avec moins de 1,9 dollar par jour, et la moitié des richesses mondiales est possédée par 1% de la population (Hubacek et al., 2017). Conventionnellement, la richesse des pays se mesure par leur produit intérieur brut (PIB), qui représente la somme des biens et services produits chaque année dans un pays. Selon la banque mondiale, 45% des pays du monde ont un PIB de moins de 5000 dollars par an et par habitant. Les trois quarts des pays du monde ont un PIB par habitant inférieur à 20000 dollars par an. A l’inverse, seuls 5% des pays du monde ont un PIB par habitant supérieur à 60000 dollars (Banque Mondiale, 2018).
Ces inégalités économiques, qu’elles se mesurent en termes de revenu ou de patrimoine, au niveau des individus, des régions ou des Etats, sont étroitement liées au changement climatique. Elles influent sur le niveau d’émissions de gaz à effets de serre, ainsi que sur l’ampleur des dégâts provoqués par les événements climatiques extrêmes.
Les inégalités économiques et les émissions de gaz à effet de serre
L’humanité a commencé à émettre de grandes quantités de gaz à effet de serre à partir de la révolution industrielle, qui a démarré au milieu du 19ème siècle. Cette révolution a fortement enrichi les pays dans lesquels elle a démarré, en Europe et aux États-Unis. La plupart des pays les plus riches aujourd’hui sont donc responsables de la majorité de l’émission historique des gaz à effet de serre (Diffenbaugh & Burke, 2019). Aujourd’hui, établir la responsabilité des pays dans les émissions de gaz à effet de serre est plus complexe, car les produits sont de moins en moins consommés là où ils sont fabriqués, surtout dans le cas des pays riches. La diminution des émissions de gaz à effet de serre d’un pays peut venir du fait que celui-ci a exporté, hors de ses frontières, les activités polluantes (Knight et al., 2017).
Il est admis qu’une augmentation du PIB, donc de la richesse d’un Etat, provoque une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (Grunewald et al., 2012). De ce fait, il existe donc une tension aujourd’hui entre deux objectifs internationaux portés par l’ONU : la réduction des gaz à effet de serre et la réduction de la pauvreté. Pour résoudre cette tension, les pays riches doivent diminuer drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre, et soutenir, notamment financièrement, des modes de développement peu polluants dans les pays pauvres (Malerba, 2018).
Dans tous les cas, en l’état actuel des connaissances technologiques, la réduction de la pauvreté – c’est-à-dire, la diminution de la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté – dans les pays les plus pauvres ne peut qu’entraîner une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. A l’inverse, les pays les plus riches peuvent diminuer les inégalités dans leurs frontières sans augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre (Grunewald et al., 2012). Les exemples récents de réduction de la pauvreté ont des effets contrastés sur l’augmentation des gaz à effet de serre : si en Amérique Latine et en Asie de l’est, la pauvreté a fortement diminué dans les dernières décennies, les émissions ont fortement augmenté en Asie, alors qu’elles ont peu augmenté en Amérique Latine (Malerba, 2018). Les raisons de cette différence ne sont pas encore documentées par des travaux de recherche.
L’effet des inégalités économiques entre les personnes sur les émissions de gaz à effet de serre est une question actuellement débattue dans la communauté scientifique. Trois explications théoriques différentes existent (Jorgenson et al., 2017; Knight et al., 2017). L’explication par l’économie politique affirme que la concentration des richesses est nourrie par des activités polluantes. Cette concentration provoque une concentration du pouvoir politique, qui contribue à maintenir et renforcer les activités polluantes dont bénéficient celles et ceux qui possèdent les richesses et le pouvoir politique. Dans cette optique, les inégalités économiques augmentent les émissions de gaz à effet de serre. L’explication par la propension marginale à émettre explique au contraire qu’une diminution de la pauvreté incite les foyers les plus pauvres à consommer plus, et donc à émettre plus. Enfin, une dernière explication estime que de fortes inégalités nourrit une compétition au statut social, qui elle-même provoque une augmentation des consommations ostentatoires génératrices d’émissions de gaz à effet de serre.
Dans les pays riches, les résultats les plus récents tendent à valider l’explication par l’économie politique. Une étude portant sur les Etats-Unis a montré qu’une augmentation de la part du PIB revenant aux 10% les plus riches a provoqué une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (Jorgenson et al., 2017). A l’inverse, cette même étude n’a pas trouvé de lien entre une augmentation ou une diminution des inégalités de revenu au niveau de la société entière et le niveau d’émissions de gaz à effet de serre. Une étude similaire portant sur 26 pays riches a abouti aux mêmes conclusions (Knight et al., 2017). Ainsi, dans les pays riches, l’accroissement des plus hauts revenus augmente les émissions de gaz à effet de serre, alors que la réduction des inégalités en général n’a pas d’effet sur elles.
Les plus pauvres plus impactés par les conséquences du changement climatique
Le rapport du GIEC de 2014 montrait déjà que les populations les plus pauvres étaient celles qui souffraient le plus des conséquences du changement climatique (GIEC, 2014).
L’Inde, par exemple, subit depuis une vingtaine d’années des épisodes extrêmes de pluie, provoquant des inondations (Tripathi, 2019). Le pays s’est fortement urbanisé dans les dernières décennies, de façon parfois peu coordonnée. Cette urbanisation a concentré les populations pauvres dans des bidonvilles. Ces habitats de fortune sont plus fragiles et sont plus facilement détruits par une inondation. Les bidonvilles sont par ailleurs souvent situés dans des zones inondables. Enfin, en cas de destruction de leur maison, les familles pauvres ne disposent pas des moyens financiers leur permettant de reconstruire (Yenneti et al., 2016). Les populations pauvres subissent donc plus violemment les conséquences du changement climatique, ce qui a notamment pour effet d’accroître leur pauvreté.
Si les pays les plus riches sont historiquement émettant le plus de gaz à effet de serre, les conséquences du réchauffement se portent surtout à l’heure actuelle sur les pays pauvres (Diffenbaugh & Burke, 2019). Une des raisons pour cela, est que les pays pauvres tendent à être des pays chauds. Le réchauffement rend donc les conditions de vie et d’activité économique plus difficiles sur place, notamment parce que l’économie de ces pays tend à dépendre majoritairement des activités agricoles (Tol, 2018). Dans les pays froids, qui tendent à être des pays riches, le réchauffement a un effet positif sur la croissance économique, qui est toutefois neutralisé par les événements climatiques extrêmes que provoque sur place le changement climatique. Néanmoins, le changement climatique accroît les inégalités car il dégrade plus rapidement les conditions de vie dans les pays pauvres que dans les pays riches. Ce phénomène a pour effet pervers de ralentir la mise en place de politiques de mitigation du changement climatique : en effet, celles-ci avancent surtout lorsque des conséquences sont visibles dans les pays riches (Dennig et al., 2015).
Enfin, suivant les recommandations de l’ONU faites depuis les années 1980, les pays riches ont protégé une partie importante de leur territoire. Ce n’est toutefois pas le cas des pays s’étant enrichi depuis 1980 (Frank & Schlenker, 2016).
Quelques pistes pour le futur
La conservation des écosystèmes nécessaires aux activités humaines a un coût qu’il est difficile d’établir en des termes monétaires : elle est inestimable, à la fois au sens de précieuse et de non mesurable. Mais paradoxalement, le fait que l’on ne puisse chiffrer ce coût lui donne dans les faits une valeur de 0 (Frank & Schlenker, 2016). On peut néanmoins mesurer le consentement à payer pour la conservation de ces écosystèmes en tant que biens publics. Ce consentement est plus important dans des contextes où les inégalités de revenu sont moindres (Drupp et al., 2018). Par ailleurs, dans un contexte expérimental où l’écart de richesse est de l’ordre de 1 à 3 et où la contribution à une action commune contre le changement climatique est libre, les pauvres tendent à contribuer proportionnellement plus que les riches (Vicens et al., 2018). Les inégalités de revenus tendent donc à diminuer la mise en place d’actions de mitigation et d’adaptation au changement climatique.
La plus grande difficulté consistera à réconcilier l’objectif d’éradication de la pauvreté et de lutte contre le réchauffement climatique. Cette réconciliation ne pourra se passer d’un questionnement critique de la croissance économique, c’est-à-dire de l’accroissement permanent du PIB des nations comme vecteur de progrès humain (Hubacek et al., 2017). Les pays les plus riches, les plus émetteurs de gaz à effet de serre, doivent diminuer drastiquement leurs émissions. Les pays les plus pauvres doivent pouvoir disposer de la possibilité d’augmenter de manière raisonnée leurs émissions de CO2 afin de réduire la pauvreté au niveau mondial, mais la marge de manœuvre existante est très fine (Malerba, 2018). Il serait donc impossible que l’ensemble des pays de la planète adopte le mode de vie actuel des pays riches.
Une solution consisterait à explorer des modes de développement alternatifs et peu producteurs de gaz à effet de serre dans les pays pauvres, en faisant financer ces développements par les pays riches (Malerba, 2018). Ce type de développement aura notamment pour effet de réduire fortement l’impact du changement climatique sur la pauvreté (Hallegatte & Rozenberg, 2017).
Rédigé par Andy Battentier