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Climat et migration sont liés depuis les débuts de l’humanité. C’est un changement climatique qui a ouvert un passage entre la corne de l’Afrique, où l’humanité est née, et le reste du monde via le Sinaï (deMenocal & Stringer, 2016). Toutefois, les effets de ce changement sur les migrations humaines s’observent sur des périodes de plus de 10000 ans. Or, le changement climatique actuel est bien plus rapide.
Ses effets sur les migrations sont encore assez mal connus. L’existence d’un effet du changement climatique actuel sur les migrations a été établie par le Giec dans son rapport de 1990. Depuis, certains travaux ont estimé que plusieurs dizaines, voire centaines de millions de personnes subiraient des déplacements forcés à cause du changement climatique. Ces estimations sont aujourd’hui remises en cause après que des recherches récentes aient mis en évidence la complexité de la relation entre changement climatique et migrations (Boas et al., 2019).
Comprendre les dynamiques migratoires liées au changement climatique
Le terme « migrations » recouvre des réalités très différentes, qu’il faut distinguer pour comprendre le phénomène dans son ensemble. Il y a plusieurs « types » de migrations. Elles peuvent être de court terme et viser un retour au lieu d’origine, ou de long terme et aboutir à une installation définitive sur le lieu d’accueil. Elles peuvent se faire sur de grandes distances et être internationales, ou se faire sur des distances plus faibles et être internes à un État. Enfin, elles peuvent être volontaires, les personnes utilisant le déplacement comme un moyen d’améliorer leurs conditions d’existence, ou forcées, comme par exemple face à une catastrophe naturelle ou une persécution politique (Klepp, 2017).
La plupart des migrations se font à l’intérieur des États, le mouvement se faisant généralement de la campagne vers la ville. L’essentiel des migrations internationales, pour leur part, est concentré dans les pays du Sud (Frölich & Klepp, 2018). Le changement climatique n’a pas vocation à inverser cette tendance : la plupart des migrations anticipées se feront selon les canaux déjà existants (Burzynski et al., 2019). Les zones les plus susceptibles d’être perturbées par le changement climatique et donc d’être des zones de migration sont l’Arctique, l’Afrique, les iles basses de l’océan Pacifique, ainsi que les deltas africains et asiatiques (Klepp, 2017).
Le changement climatique peut avoir deux types d’impact sur les migrations. D’une part, un changement lent des conditions environnementales peut rendre les conditions de vie sur place difficiles et pousser à la migration : c’est le cas de la montée du niveau de la mer, qui érode et salinise les sols. Néanmoins, dans ce cas, les populations soumises à la pression environnementale disposent d’un certain temps pour s’adapter (Klepp, 2017).
D’autre part, des phénomènes brutaux, comme une tempête tropicale, peuvent détruire des habitats et pousser à la migration. L’effet de ces phénomènes rapides est contrasté. Les migrations qu’ils impliquent sont souvent courtes. Par ailleurs, les proches des victimes se déplacent dans la zone sinistrée afin d’apporter leur aide, et les projets de reconstruction créent du travail sur place. Par exemple, le tsunami de 2004, dans l’Océan Indien, a plutôt poussé au repeuplement des zones sinistrées plutôt qu’à leur abandon (Klepp, 2017).
Enfin, les phénomènes climatiques extrêmes peuvent aussi diminuer la capacité à migrer (Brzoska & Fröhlich, 2016). Par exemple, au Malawi, les chocs climatiques (sécheresses ou inondations) ont réduit les revenus des familles impactées, et ont donc réduit leur mobilité (Suckall et al., 2017).
Les phénomènes migratoires sont donc bien plus complexes que la représentation qui en est généralement donnée. Il existe un consensus sur le fait que le changement climatique va provoquer une augmentation des migrations internes, et internationales dans une moindre mesure (Berlemann & Steinhardt, 2017). Toutefois, les méthodes utilisées pour quantifier ces phénomènes, et qui ont abouti à la diffusion de l’idée que les pays riches allaient être l’objet d’une importante immigration liée au changement climatique (Baldwin, 2016) sont aujourd’hui remises en cause. Un article récent (Boas et al., 2019) va jusqu’à parler de mythes. Deux biais principaux sont identifiés : la relation de causalité questionnable entre changement climatique et migration, et la représentation des migrations comme une question sécuritaire.
Le lien difficile entre changement climatique et migration
Les études les plus récentes font toutes le constat que le climat n’est jamais la seule cause de la migration. L’évolution des conditions environnementales s’inscrit toujours dans un contexte social et politique local, qui joue toujours un rôle dans la décision de migrer
En somme, l’évolution climatique est un des facteurs poussant à la migration, mais jamais le seul facteur (Brzoska & Fröhlich, 2016).
Par exemple, les îles Carteret, en Papouasie Nouvelle-Guinée, ont été désignées dans les médias occidentaux en 2015 comme étant les premières îles à être rendues inhabitables par la montée des eaux. Toutefois, une étude plus approfondie du contexte local révèle que si l’érosion et la salinisation des sols résultant de la montée des eaux pose des problèmes nouveaux aux habitants, les raisons les poussant à partir sont liées aux difficultés d’approvisionnement et d’accès à l’emploi qui ont toujours été présentes (Connell, 2016).
Les travaux scientifiques existants ne sont pas parvenus à mettre en évidence une relation générale claire entre changement climatique et migration. En revanche, le changement climatique contribue à l’émergence de conflits, du fait d’une compétition accrue sur des ressources en déclin (Abel et al., 2019; Brzoska & Fröhlich, 2016). Les conflits peuvent être par la suite source de migrations. En se basant sur une analyse des causes des conflits entre 2006 et 2015, une équipe de chercheurs a établi que le changement climatique n’influençait directement les migrations que dans des cas très spécifiques, lorsque le pouvoir politique local a été incapable de répondre adéquatement à une situation de stress causée par un événement climatique extrême (Abel et al., 2019). C’est le cas, par exemple, du conflit syrien : trois ans de sécheresses ont poussé de nombreuses populations rurales à s’installer en ville, et le pouvoir en place n’a pas su gérer les conséquences de ce changement démographique. Le conflit résulte alors de cette incapacité. Ces conclusions mettent en évidence l’influence importante des politiques d’adaptation et de mitigation du changement climatique, qui poussent vers une issue pacifique ou conflictuelle des mouvements de population (Brzoska & Fröhlich, 2016).
La migration comme stratégie d’adaptation globale au changement climatique
Les migrations sont abordées dans le débat public sous l’angle d’un « paradigme de la sédentarité » qui considère la sédentarité comme la norme, et la migration comme l’exception (Frölich & Klepp, 2018). Cette approche pousse à aborder la migration avec un angle sécuritaire, comme un problème à « gérer » et « contrôler », potentiellement vecteur de troubles (Baldwin, 2017; Klepp, 2017). Les migrants tendent à être perçus en occident comme des populations forcées au déplacement du fait d’une incapacité à s’adapter sur place. Toutefois, cette perception n’est pas partagée partout dans le monde, où la migration peut être considérée comme une stratégie d’adaptation comme une autre (Baldwin, 2016; Gemenne & Blocher, 2017).
En Océanie par exemple, là où la montée des eaux menace à terme l’existence de certaines nations (Berchin et al., 2017), la migration existe en tant que stratégie d’adaptation depuis des siècles (Frölich & Klepp, 2018). Ainsi, même si des terres sont rendues inhabitables par la montée des eaux et la salinisation, il n’est pas sûr que la région connaisse une « crise migratoire » dans la mesure où les mouvements de population sont moins perçus comme problématiques dans les cultures locales. Par ailleurs, les représentants des nations insulaires de l’océan Pacifique s’agacent d’être donnés à voir comme des victimes du changement climatique, et s’attachent plutôt à pointer du doigts les nations les plus responsables du phénomène.
Une étude portant sur les migrations des agriculteurs en Inde a mis en évidence les bénéfices des migrations comme vectrices d’adaptation au changement climatique. L’agriculture est un secteur particulièrement sensible aux aléas climatiques. Face à une montée de ces aléas en Inde, les fermiers s’adaptent en allant travailler temporairement ou définitivement en ville. Ils envoient généralement une personne, et les autres personnes du foyer restent. Ce phénomène a plusieurs conséquences positives. Tout d’abord, les fermiers transfèrent de l’argent à la famille, ce qui améliore leur capacité d’adaptation sur place. Ils échangent aussi, avec les gens qu’ils rencontrent en ville, des méthodes de culture qui permettent de répondre plus efficacement aux aléas climatiques. Enfin, ces méthodes finissent par être partagées avec leur communauté, et favorise donc son adaptation aux nouvelles conditions environnementales (Jha et al., 2018).
L’approche sécuritaire des questions migratoires liées au changement climatique doit donc pousser à questionner le rapport de l’occident à l’altérité (Baldwin, 2016). Ces questions traversent notamment dans les débats autour du statut de « réfugié climatique » (Berchin et al., 2017). S’il est essentiel d’assurer une assistance aux victimes du changement climatique, la notion de réfugié climatique peut avoir pour effet de favoriser des politiques cherchant à contrôler les flux migratoires plutôt que de se concentrer sur la mitigation et l’adaptation aux effets du changement climatique (Baldwin, 2017).